Souvenez-vous du visage de l’homme le plus pauvre et le plus faible que vous ayez jamais vu. +

Mahatma Gandhi — Parole de sages

Le sappel

actualités

No 76
journal du sappel / Octobre 2009 Journal

Echos de l’été.

…Avec les familles :

« Ce que j’aime bien quand on se rencontre, c’est le partage : pour les repas chacun apporte du salé, du sucré, on fait des desserts. Les jours où on est plus nombreux, on apporte chacun un plat, on mange ensemble, on partage avec tout le monde » C’est ce qui touche Christel, une maman de cinq enfants fidèle participante des Journées Familiales qui réunissent chaque mois cinq ou six familles. Cette année nous avons choisi le thème « Accueillons la fraternité » , pour nous y aider nous avons cheminé avec l’histoire de Joseph qui a été vendu par ses frères,

Comme une bogue de châtaigne Tout d’abord, pour accueillir cette fraternité, il faut vraiment prendre le temps de nous connaître les uns les autres et la fidélité aux rencontres mensuelles permet un apprivoisement mutuel. Isabelle, une des animatrices, compare ce temps de connaissance à une bogue de châtaigne : « Ca pique de l‘extérieur, très fort, mais on peut faire plein de bonnes choses avec ce qu’il y a à l’intérieur. La fraternité, c’est ça : on ne se connaît pas au début, les contacts sont difficiles. On ouvre la bogue, il y a un cœur et on peut faire plein de belles choses ensemble. » Et c’est vraiment ce qui s’est vécu tout au long de cette année.

S’émerveiller des petites choses Cependant, la misère amène les personnes à se comporter de telles façons qu’elles peuvent s’exclure elles-mêmes. La façon d’être ou de parler des enfants ou des parents peut en effet rebuter, pousser à l’incompréhension et au jugement. C’est là qu’il faut apprendre à s’émerveiller des petites choses, à aiguiser son regard pour saisir la beauté de celui ou celle avec qui il est si difficile d’entrer en relation. « Mickaël appelant Cindy pour jouer avec elle, c’est un temps de complicité entre frère et sœur à remarquer car leurs relations sont plus que houleuses !! Le même Mickaël demande à Cindy de demander pardon au monsieur qu’elle a heurté, alors que lui-même n’est jamais avare en gros mots ! Je pense aussi à Marwa, pendant le temps de prière du soir, qui se met à chanter « le bonheur d’être ensemble… » et entraîne tout le monde dans ce mouvement. »

« Au début, j’appréhendais André, un papa, en me demandant si on allait un jour pouvoir dialoguer, car je le sentais distant et sévère. Mais non, je me trompais. On a trouvé un point en commun ; à chaque fois que nous étions ensemble dans la cuisine, il prenait son temps pour répondre à mes questions et m’expliquer comment faire selon lui ou me faisait voir comment il avait tout appris. Et au fur et à mesure j’ai pu voir que c’était quelqu’un de très touchant et de très attentif...je suis très contente d’en être arrivé à ce stade avec lui.... »

Enfin, accueillir la fraternité donnée en Christ, c’est aussi partager les prières, la foi vécue si différemment. C’est donc découvrir la foi de celui ou celle avec qui je partage mes journées et la reconnaître dans sa beauté : "J’ai été très touchée par la parole d’André lorsque j’ai dit que nous allions durant la journée mettre Dieu au cœur de ce que nous allions vivre, comme le faisait Joseph dans les passages que nous avions parcourus. Il a répondu : « C’est ce qu’on fait tous les jours ! »  Ainsi, même si des points concrets de la vie de Joseph avec ses frères ne sont pas nommés précisément par les familles, ce qui est vécu dans les journées dit bien cette recherche de fraternité, essentielle à la vie de l’homme et donnée par le Seigneur. Quand elles font le bilan de l’année, les familles ne s’y trompent pas. Ces journées, « C’est le partage de la nourriture concrète et spirituelle. C’est le partage de choses lourdes, difficiles, qu’on pose un instant quand on vient au Sappel. Ca permet d’être plus fort et de repartir dans la fraternité » nous dit Elisabeth. C’est aussi « quelqu’un qui prie, qui partage ses prières, avec ses problèmes. Comme nous on fait. On partage avec les gens » nous affirme André.

Philippe

avec les tout- petits….

Nous sommes 4 animatrices pour 4 enfants : merveilleux de pouvoir prendre en charge chaque enfant en particulier, là où il en est, être à l’écoute d’une réflexion, peindre avec lui, découper, coller, lire un passage de l’histoire de Joseph. Quatre journées, quatre thèmes ; comme nos papas et nos mamans !

La famille, la rupture, le pardon, la fête. Une animatrice profite de quelques minutes propices avec un enfant, au calme. Elle aborde le thème de la journée, l’aide à choisir une image, colle, dessine, peint sur la grande page blanche du livret, décore avec des fleurs cueillies en promenade : le temps est souvent furtif mais si important ! Et l’enfant aura, à sa façon, pris part à l’élaboration du grand livre de la retraite ! Les thèmes permettent de parler avec leurs mots de leur famille : « papa et maman ne sont pas sur la même feuille parce qu’ils n’habitent pas dans la même maison » ou « mon frère je ne le dessine pas, il est méchant »…De parler des disputes de la violence ; des amis qui nous aident : nous faisons une ribambelle où chacun se tient la main. De parler du pardon, de la réconciliation : nous choisissons une photo d’enfants qui s’embrassent et nous les collons ; nous faisons avec les enfants de la pâte à pain (c’est bon de pétrir la pâte très longtemps !) et nous mettons les petites boules dans le four ; car Joseph a donné de quoi faire du pain à ses frères. Pour la fête nous faisons des petits gâteaux avec des moules plantés dans une grande pâte puis nous les décorons avant de les cuire ! Quelle fierté, le jour de la fête et du bon repas de proposer aux adultes notre dessert ! Un coin prière a été installé le 1er jour avec une image de la famille de Dieu, la Trinité, une bougie. Mais il n’a pas été beaucoup utilisé ! On y a quand même mis un jour un bouquet de fleur ou allumé la bougie. C’est tellement plus concret d’aller montrer nos trésors à la chapelle, directement à Jésus : un escargot, des fleurs, une pomme de pin. Ce qui était important aussi : expliquer aux enfants que papa et maman avaient parfois besoin de silence pour prier ou pour pouvoir parler à quelqu’un et à ce moment là, il fallait se faire discret !…

Geneviève

Avec les enfants….

Ce camp n’était pas le premier que je faisais avec le Sappel, mais j’ai été encore une fois bousculée, choquée, émue, émerveillée, questionnée, remuée…

D’abord par la violence, violence que les enfants ont en eux, mais aussi et surtout la violence dans laquelle ils vivent au quotidien, dans leur famille, leur quartier, leur foyer. « Si je rentre chez ma mère, elle m’éclate ma gueule » « Ma dent tombée, c’est en jouant avec mon père. » Puis : « En fait on jouait pas vraiment, il m’a pris et cogné la tête. » J’ai vraiment découvert qu’ils sont obligés de jouer aux caïds malgré eux pour tenter de se faire accepter, ou au moins ne pas se faire taper dessus. La seule loi qu’ils connaissent, c’est la loi du plus fort, où il faut écraser l’autre pour survivre.

Mais les temps qu’on a pu passer seul à seul avec les uns ou les autres, m’ont émerveillée, ils se révélaient avec toute leur sensibilité, leurs questions d’enfants, où ils pouvaient enfin être eux-mêmes loin de l’influence (énorme !) du groupe.

Une transformation de jour en jour Et j’ai été impressionnée par la transformation (presque la transfiguration pour certains) qu’on a observée pendant le camp, ils ont pu retrouver leur visage d’enfant au fur et à mesure qu’ils entraient en confiance avec nous, qu’ils pouvaient goûter à un climat où la reconnaissance n’était pas dans la violence. On a ainsi vu à la fin un enfant qui rendait service avec plaisir et en souriant, alors qu’il avait fallu que je me batte (au sens propre comme au figuré) pendant une heure le premier soir pour qu’il passe le coup d’éponge ! Et étonnamment lorsque je l’ai félicité pour son comportement, il ne m’a pas écouté, comme si c’était trop dur pour lui d’entendre une appréciation positive sur lui, alors qu’il doit être tellement habitué à être dénigré. Triste constatation…

Leur imprévisibilité, leurs réactions parfois extrêmes m’ont souvent déroutée. Une situation paisible pouvait déraper vers la violence en quelques secondes, inversement les situations les plus envenimées se concluaient parfois très rapidement par une réconciliation en paroles et en actes. Il faut alors savoir s’adapter à tout instant à leur comportement, et toujours rester très vigilant et veilleurs, des moments durs comme des beaux moments (où sans qu’on s’y attende ils se mettent à jouer tous ensemble calmement !). Cela pose aussi la question de l’autorité, et des limites à fixer : comment être assez exigeant pour les faire grandir sans l’être trop pour ne pas les décourager ?

Alors face à tout ça, se mêlent à l’émerveillement beaucoup d’interrogations, au moment où ils sont repartis chez eux, dans la violence de leur famille et leur quartier : que vont-ils retirer de ce qu’ils ont appris pendant ce camp ? En quoi cette petite parenthèse de paix peut-elle les aider dans leur vie ? Est-ce possible qu’ils se construisent sans violence dans leur cité ? Quel avenir pour eux ? Est-ce que ces 5 jours ne sont pas dérisoires ? Que pouvons-nous faire de plus pour eux ? De plus, en quelques jours j’ai senti que je me suis vraiment attachée à ces enfants, si jeunes et déjà si blessés, alors quelle suite ? Avons-nous vraiment le droit de nous attacher à eux, alors qu’ils ne font que croiser nos routes ?

Solène

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